Nôtre histoire se passe à Ikusa mais prend source à Taisen.
Jour de marché dans la ville du Lion.
On se marche sur les pieds dans les ruelles étroites autour du Bazaar, on joue des épaules, on trébuche sur les vanneries trouées débordant sur la voie, on bute dans les étals.
Les jours d’affluence sont souvent synonyme de chaleur étouffante dans les allées du marché. L’air stagne entre les murs austères de la cité, privé du vent portée par les dunes.
Serrée entre un empilement caquetant de poules en cage et une rangée d’esclaves restés debout toute la journée, Parwan expose ses étoffes.
Elle tient boutique devant ses marchandises, assise par terre sur ses talons, à la nomade.
Au sol, les effluves de sueur et de fiente sont plus fortes mais on profite du brassage salutaire causé par les jambes des passants.
Penchée sur sa dernière broderie, l’aiguille de la veuve propage lentement les rayons d’un soleil Shierak sur la trame colorée.
Sa main se suspend au-dessus de l’ouvrage.
A sa gauche, un grand barbu s’est arrêté et fait mine d’ inspecter la dentition de l’Aman Ebed épuisée qui lui sert de voisine depuis ce matin.
La nomade n’est pas dupe. Une pièce a retenu l’attention du barbu sur son étal et il temporise pour mieux marchander. Le regard du briscard au poil grisonnant saute furtivement entre les broderies et l’état des gencives qu’il malmène sous son nez.
C’est un barbare, taillé comme un fût de chêne, une tenue et une attitude qui lui évoquent un clan bien spécifique.
Le barbu commet l’erreur de croiser son regard. Je t’ai vu.
Son petit manège exposé, il soupire, essuie la salive de son pouce sur les joues de l’esclave et vient se planter de tout son haut devant Parwan. Tous deux échangent dans la langue du désert.
“Sahriki.” amorce-t-il.
“Ryssen.” constate-t-elle.
“J’ai laissé ma brune à Ikuza. Elle profite des bains. Mais si demain je rentre les mains vides, je pourrais lui faire un collier avec mes couilles et mes tympans, tant elle me les aura brisés.
Mais rien de ce que tu vends ne vaut le prix annoncé, chèvre noire. Ma main au feu. La tenture avec la Lune, là, combien ?"
“Sept pièces d’or, Ryssen.”
“ J'en cracherais pas la moitié.”
“Six d’or, huit d’argent.”
Ainsi débute la joute.
Les ombres s’étirent sur les murs blanc de Taisen. Le vieux barbare connaît son affaire, à marchander en fin d’après midi. Les prix chutent rapidement lorsque chacun est pressé de rentrer chez lui.
Qu’importe pour la Sahriki, rompue à l’exercice.
A mesure que prend la sauce entre les deux, les anciens s’arrêtent pour assister à l’échange en se caressant la barbe. Les marchandages animés donnent sa saveur aux jours de marché. Et les symboles sautent aux yeux. La Sahriki, à genoux face à l’altier Ryssen en armes, analogie de leurs partis respectifs au lendemain du conflit.
Mais qu’importe la posture, la main au pommeau, l’angle du regard. Ce qui compte, c’est une tête dure comme du bois et d’en faire des caisses. L’un comme l’autre s’y valent.
La nomade se fait plaindre du temps passé à l’ouvrage, de son veuvage à un âge avancé, de l’autonomie qui lui échoit, relève les subtilités dans le motif et la robustesse du tissu.
Le barbare envoie la subtilité au diable, soutient que seule lui importe la forme générale. La sienne est trop dépouillée et le Soleil se couche de honte devant l'irrégularité de son travail. Il balaye d’un geste ses problèmes de vieille femme, bonne à finir sa vie comme servante à la capitale.
Dans la vénérable assistance, on se pousse malicieusement du coude, on acquiesce avec son voisin d’un air entendu, même aux arguments les plus grotesques. Parwan veut vendre, le Ryssen veut acheter, il n’a d’ailleurs vu rien d’autre qui l’intéressait aujourd’hui, sans quoi il ne serait pas si buté, mais une once d’orgueil et d’antagonisme tribal souligne leur échange et le traîne dans une impasse, tant et si bien qu’à la fin…
“Quatre d’or, sept d’argent… et mon dernier mot, cabocharde !”
“Cinq d’or, cinq d’argent, ronge-mors. Et. Pas. Moins.”
Le vieux Ryssen s’enfonce les mains dans les hanches et bascule sa tête en arrière. Il s’adresse à sa femme restée à Ikuza.
“ Va pour le collier de couilles, ma brune. N’est pas né celui qui me verra floué par une Sahriki.”
Il se penche à à nouveau sur Parwan et agite sa bourse en cuir.
“Rince toi les yeux là dessus, chèvre noire, car tu n’en verras pas la couleur. Maintenant, tu m’excuseras, mon orniphant s’impatiente.”
Le barbare disparaît dans la foule déjà plus clairsemée en direction de la porte Ouest.
Toujours assise sur ses talons, Parwan croise les bras et détourne le menton avec dédain. La poignée d’anciens se disperse, marmonnant entre eux sur cette fin peu concluante.
Resté en retrait pendant toute la durée du duel, un chamelier s’avance, le fouet à la ceinture, un bissac de voyage lancé au-dessus de l’épaule, une moustache digne et buissonnant jusqu’aux oreilles.
L’homme est taillé comme un nerf de boeuf, son calot circulaire portant la broderie du symbole Reikois: Un messager du Palais.
“Parwan Sahriki ? Une lettre pour Hossein Sahriki, ton époux. Porte lui rapidement, la couronne n’attend pas.”
Parwan est un instant prise de court à la vue du parchemin qu’on lui tend et à celle du cachet de cire orné du dragon. La gorge serrée par un pressentiment, elle lève le regard vers celui du messager, saisissant le rouleau comme s'il brûlait.
“C’est que… Mon mari s’en est allé, mon frère. Il y a huit mois de cela.”
Une expiration nasale fait frémir les poils de moustache du messager. Il déplie une note chifonnée glissée dans sa ceinture et la consulte avec dépit.
“L’Argenterie m’envoie courir le pays depuis le couronnement de Leur Majestés. La guerre a mis un désordre pas possible dans les archives et vous autres, nomades, vous nous facilitez pas la tâche. Premier époux, Azher Sahriki, mort. Qassan Sahriki, second époux, mort. Hossein Sahriki, troisième, mort aussi. Je…”
Le sang quitte le visage de Parwan. “Q… Qassan est mort ?” Le profil sévère de son second mari s’’imprime à nouveau dans son esprit.
“Quand est-ce que… Est-il… A-t’il eu des enfants ?”
“ Des enfants ?” s’exclame soudain le chamelier, les bras écartés. “Qu’est ce que j’en sais, moi ?! C’est écrit “Mort au combat”, voilà tout. Ouvre cette lettre, femme ! Je n’ai pas toute la journée !”
Submergée d’émotions contraires, Parwan peine à décacheter et dérouler le parchemin devant ses yeux. Qassan est mort. Il est mort. Lui, pourtant si brutal, si sévère, si peu aimant. Le voilà parti, son second mari. Et de la main d’un Ryssen, sans doute ! Lui et ses menaces terribles, si jamais il entendait à nouveau parler d’elle. C’en est fini…
Elle réprime ce sentiment de libération qu’elle estime indigne d’elle et lit :
La grande solennité de la lettre, un ton d’usage pour tout édit ayant trait aux services royaux, a un impact considérable sur la nomade. Les sujets d’argent et les relations au royaume étant une affaire d’hommes dans sa tribu, Parwan se croit complètement dépassée. De préoccupation, elle porte sa main à la bouche et cherche un soutien dans les yeux du messager.
“Soleil tout puissant… Hossein est parti, ces punitions vont toucher sa famille !”
“Ah mais sotte, vas t’en toi même à la capitale, alors ! Et puisque tu étais sa femme, présente toi comme telle !”
“Mais je ne s…”
“Va ! Va, te dis-je ! Explique leur et ils comprendront.”
L’heure n’est pas aux atermoiements. Parwan saute sur ses pieds, ses genoux émettant un crac audible au messager, esclaves et poules alentours. En toute hâte, elle met à bas toutes ses marchandises des présentoirs pour en faire un rouleau de textile qu’elle charge sur son épaule. Elle fait volte-face au messager.
“Mille mercis, mon frère ! Que Shehk illumine tes pas ! Adieu !”
Le moustachu l’observe disparaître en courant dans la ruelle, sa cape et sa robe ballotés par ses zigzags entre les passants.
“Pfeh… Toujours à s’en faire des montagnes. ”
“Je suis sûr que ce n’est même pas si grave. Elle aurait pu partir le lendemain. Mais tout de même, la bénédiction d’une Sahriki… ” pense-t-il en se frisant le bout de la moustache, pas mécontent de lui. “J’irais peut-être au Temple, cette année finalement.”
Parwan déboule dans les allées de Taisen, provoquant les cris des passants, surpris par la tempête flottante qui leur passe brusquement sous le nez. En haut d’une volée d’escaliers, elle aperçoit, par-dessus les dômes et les minarets, l’espace ouvert autour de la porte Ouest.
Un dernier effort et elle s’y trouve, sur cette langue de terre battue destinée au transit des marchandises et des bêtes entre les hangars et les écuries.
C’est là qu’elle l’aperçoit, perché sur son orniphant dans la file disparate de cavaliers qui disparaît à travers la porte vers le désert.
“Ryssen !” s’écrie t’elle à bout de souffle, alors qu’il parvient sous les mâchicoulis.
Le vieux barbare et tous les voyageurs dans la file se retournent sur leur selle. Ils l’interrogent du regard, alors qu’elle reprend son souffle, pliées sur ses genoux.
“Ca alors, cabocharde, qu’est ce que tu viens encore me pomper l’air ?”
Elle est toujours incapable d’articuler un mot.
“Eh bien !?”
La nomade se relève et se campe fièrement sur ses jambes, dans une posture identique au barbu pendant leurs négociations.
“Cinq d’or pile et un voyage pour Ikuza, Ryssen !”
Le barbare se retient d’éclater de rire.
“Quatre d’or, huit d’argent, Sahriki. En selle !”
Bientôt, Taisen et ses remparts s’amenuisent derrière eux dans le lointain, îlot crépusculaire sur la mer de dunes. L'orniphant et son équipage suivent le train des lanternes venant de, et allant vers la capitale royale.
Parwan a refusé de chevaucher en selle avec le Ryssen. Par principe. Elle s’est plutôt instalée sur le train arrière de l’animal, assise sur ses étoffes. Ses jambes se soulèvent en rythme avec les cuisses volumineuses de la monture sur le sable, lui prêtant une gestuelle enfantine.
Quand les nuances du Soleil cessent finalement de peindre l’horizon et que la Lune siège en maîtresse des ténèbres étoilés, Parwan présente ses paumes au ciel et récite ses prières à Jalan, l’astre nocturne, la priant de veiller leur trajet de ses rayons.
Vient ensuite l’adresse aux ancêtres. Azher d’abord, Hossein ensuite puis c’est au tour de Qassan dont elle vient seulement d’apprendre la mort.
Elle s’excuse de n’avoir pu combler ses désirs d’héritiers et promet qu’elle faisait de son mieux. Avec le recul, elle pense que son souhait l’aveuglait et qu’ils auraient pu faire un couple digne, même sans enfants. Elle ne doute pas que nombreux sont ceux qui lui rendent hommage mais promet d’un jour apprendre où se trouve son étoile. Elle s’excuse aussi de monter en croupe avec quelqu’un qui aurait bien pu être responsable de sa mort.
Le vieux barbare, qui commence à se sentir en trop sur sa propre monture, se retourne pour lui intimer de la boucler. Mais Parwan s’est déjà endormie, emmitouflée sous sa cape en poil de chèvre, bercée par le balancier de l’orniphant.
Au petit matin, les hauteurs de la capitale apparaissent dans l’aurore poudroyante. Parwan est réveillée par les bâillements de son conducteur. Les lèvres pâteuses, il lui concède que ses prières ont fonctionné et que la Lune leur a accordé un voyage sans incidents. Mais en lui tendant une galette de pain plat, il la surprend à lever les paumes au ciel pour rendre hommage au Soleil et jure de l’éjecter s’il entend une autre prière sur le dos de sa monture.
Parwan le traite de mécréant et boude en mastiquant son petit-déjeuner.
La porte Est d’Ikuza se dresse dans la majesté de ses étendards et les premiers rayons du Soleil, accueillant les visiteurs comme des fourmis à ses pieds.
“Longue vie au Reike.” laisse échapper la Sahriki, le nez en l’air, en passant sous les herses.
“Ouais…” réagit pensivement le Ryssen.
Il y a quelques mois de cela, ils combattaient corps et âme contre le royaume. Et désormais, ils étaient le royaume, ils s’installaient dans le confort de ses murs, leur chef de guerre siégeant désormais au plus somptueux des palais. Avec l’âge et la force de l’habitude, il faudrait au barbu le temps de se faire à l’idée.
Les deux partenaires se disent adieu à la sortie des écuries.
“Attends. Ton nom, cabocharde.”
“Parwan.”
“Thorin. Tu pues la sueur et la fiente de poule, Parwan.”
“Je sais. Pas pour longtemps.”
“Adieu, Parwan.”
“Adieu, Thorin.”
Il fait bon ce matin, à Ikuza. Un parfum d’air frais flotte dans les rues de la cité royale. Une brise légère souffle dans les orangers et les hirondelles trissent en fusant sous les toitures. Parwan marche d’un pas vif dans les artères de la capitale qui s’éveille.
Les blanchisseurs s’en viennent de leur tâche chargés de linge blanc, les servantes descendent à la criée du port et les vieux discutent en fumant la pipe sur les marches des résidences.
Elle croise la relève de la garde sous les grilles du quartier populaire, et l’odeur du café tout juste avalé qui traîne dans son sillage.
La voilà au quartier des bains. Une fois délestée de quelques ronds de cuivre sur le comptoir du concierge, Parwan s’éclipse dans les vestiaires. Là, elle se libère de ses vêtements et trottine sur le sol humide jusqu’aux bassins. Prenant place parmi les joyeuses discussions des citadines les plus matinales, elle se laisse glisser dans l’eau chaude avec béatitude. Les courbatures d’une nuit de chevauchée, la fatigue d’un jour de bazaar s'efface dans ses membres comme des pièces de métal cabossées, refondues à neuf dans leur moule.
Savonnant soigneusement sa longue crinière ruisselante, Parwan pense à la lettre, au mots du messager. “Puisque tu étais sa femme, présente toi comme telle. Explique leur et ils comprendront.”
Le sourcil froncé, Parwan doit déployer des trésors d’imagination pour se voir frapper à une porte du Palais et déclarer être là pour représenter son homme. Les finances sont pourtant des affaires de patriarche ! Qu’est ce qu’une femme comme elle pourrait bien dire aux services royaux ? Dans son esprit, elle s’imagine pressée de questions dans une langue inconnue, balbutiant des réponses futiles et se couvrant de honte.
Au bout de la salle, une Ebed gobeline fait sonner sa clochette et retourne un grand sablier fixé au mur. Parwan, comme la plupart des femmes quittent le bain dans un concert d’éclaboussure et se dirigent vers la salle attenante en bavardant.
Le signal du séchoir, et la raison pour laquelle Parwan apprécie cet établissement:
Sous leurs abords populaires et sans prétention, ces bains emploient une Elementaire de vapeur.
Pendant que les clientes se baignent, on lave à grande eau les vêtements de celles qui ont versé un supplément, et c’est par magie que chacune ressort sèche jusqu’à la racine des cheveux.
L’élémentaire, une elfe au teint noir de café, ses cheveux broussaillant sur sa tête comme un nuage d’orage, invite chacune dans la pièce circulaire à tendre les bras et fermer les yeux. Elle soulève son pied droit et se lèche les lèvre avant de souffler dans le cercle serré formé par son pouce et son majeur. Un air brûlant jaillit de sa bouche et vient frapper les murs de la salle, formant bientôt un vortex autour des clientes immobiles.
En quelques instants, Parwan sent l’humidité s’évaporer de sa peau et de ses cheveux balayés aux quatres vents. Elle rouvre les yeux sur un petit groupe de tout âge, nues mais parfaitement sèches. Chacune remercie Tenvi l’Elementaire en rejoignant les vestiaires, celle-ci répondant par un sourire poli.
On rend à Parwan ses vêtements, aussi secs et propres qu’elle. La Sahriki prend bien le temps d’enfiler son pantalon, sa robe et ses tuniques, de coiffer sa tresse, nouer sa ceinture et d’ajuster sa coiffe. Dans le petit miroir en médaillon devant lequel chacune se presse, elle applique sur ses lèvres et ses cils une once de poudre végétale pour rafraîchir son maquillage.
Elle sort dans la rue, kerikh de marche en main. Si elle n’est pas prête à se rendre au Palais maintenant, jamais elle ne le sera. Alors elle se met en marche.
Sous ses semelles de cuir, les pavés plats l’appellent presque à courir. Mais Parwan est sérieuse et résolue. Elle représentera Hossein à l’Argenterie, car nul autre ne peut le faire à présent. Et qu’importe si elle se couvre de ridicule.
La lettre décachetée en main, elle se retrouve au pied des murailles du palais royal.
Peu familière des lieux, elle peine longuement à trouver une entrée avant d’atteindre une barbacane aux herses levées, tenue par une huitaine de gardes. Un drakyn patibulaire et scrutateur alterne entre le contenu de la lettre et la mine déterminée de la Sahriki. D’abord réticent à laisser entrer quelqu’un que la lettre ne convoque pas expressément, on lui confisque broderies, bâton et affaires de voyage, puis on l’escorte à l’intérieur.
Parwan est impressionnée par le jardin poussant sous les murs du Palais. Elle voudrait s’arrêter pour observer toutes ces fleurs et ces arbres qu’elle voit pour la première fois, mais son escorte lui fait hâter le pas.
Elle et sa guide finissent par pénétrer dans une aile du palais aux couloirs solennels. Elles croisent plusieurs dignitaires et troupes de garde, traversent une cour intérieure, grimpent une volée d’escaliers plus large que la nomade n’en a jamais vu et débouchent sur un long couloir, généreusement éclairé de grandes lampes à huile. La garde fait asseoir Parwan sur un banc et disparaît prévenir quelqu’un en lui donnant l’ordre de ne pas bouger.
Parwan s'exécute.
Son coeur s'accélère, assise seule sur son banc. Shekh tout puissant ne peut rien pour elle en ces murs. Ses rayons ne l’atteindront pas, claquemurée comme elle est dans ce vaste et mystérieux édifice. Leur trajet pour parvenir ici se trouble dans sa mémoire perturbée.
“Pas d'inquiétude.” se répète-t-elle intérieurement. “Pas d'inquiétude...”
Jour de marché dans la ville du Lion.
On se marche sur les pieds dans les ruelles étroites autour du Bazaar, on joue des épaules, on trébuche sur les vanneries trouées débordant sur la voie, on bute dans les étals.
Les jours d’affluence sont souvent synonyme de chaleur étouffante dans les allées du marché. L’air stagne entre les murs austères de la cité, privé du vent portée par les dunes.
Serrée entre un empilement caquetant de poules en cage et une rangée d’esclaves restés debout toute la journée, Parwan expose ses étoffes.
Elle tient boutique devant ses marchandises, assise par terre sur ses talons, à la nomade.
Au sol, les effluves de sueur et de fiente sont plus fortes mais on profite du brassage salutaire causé par les jambes des passants.
Penchée sur sa dernière broderie, l’aiguille de la veuve propage lentement les rayons d’un soleil Shierak sur la trame colorée.
Sa main se suspend au-dessus de l’ouvrage.
A sa gauche, un grand barbu s’est arrêté et fait mine d’ inspecter la dentition de l’Aman Ebed épuisée qui lui sert de voisine depuis ce matin.
La nomade n’est pas dupe. Une pièce a retenu l’attention du barbu sur son étal et il temporise pour mieux marchander. Le regard du briscard au poil grisonnant saute furtivement entre les broderies et l’état des gencives qu’il malmène sous son nez.
C’est un barbare, taillé comme un fût de chêne, une tenue et une attitude qui lui évoquent un clan bien spécifique.
Le barbu commet l’erreur de croiser son regard. Je t’ai vu.
Son petit manège exposé, il soupire, essuie la salive de son pouce sur les joues de l’esclave et vient se planter de tout son haut devant Parwan. Tous deux échangent dans la langue du désert.
“Sahriki.” amorce-t-il.
“Ryssen.” constate-t-elle.
“J’ai laissé ma brune à Ikuza. Elle profite des bains. Mais si demain je rentre les mains vides, je pourrais lui faire un collier avec mes couilles et mes tympans, tant elle me les aura brisés.
Mais rien de ce que tu vends ne vaut le prix annoncé, chèvre noire. Ma main au feu. La tenture avec la Lune, là, combien ?"
“Sept pièces d’or, Ryssen.”
“ J'en cracherais pas la moitié.”
“Six d’or, huit d’argent.”
Ainsi débute la joute.
Les ombres s’étirent sur les murs blanc de Taisen. Le vieux barbare connaît son affaire, à marchander en fin d’après midi. Les prix chutent rapidement lorsque chacun est pressé de rentrer chez lui.
Qu’importe pour la Sahriki, rompue à l’exercice.
A mesure que prend la sauce entre les deux, les anciens s’arrêtent pour assister à l’échange en se caressant la barbe. Les marchandages animés donnent sa saveur aux jours de marché. Et les symboles sautent aux yeux. La Sahriki, à genoux face à l’altier Ryssen en armes, analogie de leurs partis respectifs au lendemain du conflit.
Mais qu’importe la posture, la main au pommeau, l’angle du regard. Ce qui compte, c’est une tête dure comme du bois et d’en faire des caisses. L’un comme l’autre s’y valent.
La nomade se fait plaindre du temps passé à l’ouvrage, de son veuvage à un âge avancé, de l’autonomie qui lui échoit, relève les subtilités dans le motif et la robustesse du tissu.
Le barbare envoie la subtilité au diable, soutient que seule lui importe la forme générale. La sienne est trop dépouillée et le Soleil se couche de honte devant l'irrégularité de son travail. Il balaye d’un geste ses problèmes de vieille femme, bonne à finir sa vie comme servante à la capitale.
Dans la vénérable assistance, on se pousse malicieusement du coude, on acquiesce avec son voisin d’un air entendu, même aux arguments les plus grotesques. Parwan veut vendre, le Ryssen veut acheter, il n’a d’ailleurs vu rien d’autre qui l’intéressait aujourd’hui, sans quoi il ne serait pas si buté, mais une once d’orgueil et d’antagonisme tribal souligne leur échange et le traîne dans une impasse, tant et si bien qu’à la fin…
“Quatre d’or, sept d’argent… et mon dernier mot, cabocharde !”
“Cinq d’or, cinq d’argent, ronge-mors. Et. Pas. Moins.”
Le vieux Ryssen s’enfonce les mains dans les hanches et bascule sa tête en arrière. Il s’adresse à sa femme restée à Ikuza.
“ Va pour le collier de couilles, ma brune. N’est pas né celui qui me verra floué par une Sahriki.”
Il se penche à à nouveau sur Parwan et agite sa bourse en cuir.
“Rince toi les yeux là dessus, chèvre noire, car tu n’en verras pas la couleur. Maintenant, tu m’excuseras, mon orniphant s’impatiente.”
Le barbare disparaît dans la foule déjà plus clairsemée en direction de la porte Ouest.
Toujours assise sur ses talons, Parwan croise les bras et détourne le menton avec dédain. La poignée d’anciens se disperse, marmonnant entre eux sur cette fin peu concluante.
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Resté en retrait pendant toute la durée du duel, un chamelier s’avance, le fouet à la ceinture, un bissac de voyage lancé au-dessus de l’épaule, une moustache digne et buissonnant jusqu’aux oreilles.
L’homme est taillé comme un nerf de boeuf, son calot circulaire portant la broderie du symbole Reikois: Un messager du Palais.
“Parwan Sahriki ? Une lettre pour Hossein Sahriki, ton époux. Porte lui rapidement, la couronne n’attend pas.”
Parwan est un instant prise de court à la vue du parchemin qu’on lui tend et à celle du cachet de cire orné du dragon. La gorge serrée par un pressentiment, elle lève le regard vers celui du messager, saisissant le rouleau comme s'il brûlait.
“C’est que… Mon mari s’en est allé, mon frère. Il y a huit mois de cela.”
Une expiration nasale fait frémir les poils de moustache du messager. Il déplie une note chifonnée glissée dans sa ceinture et la consulte avec dépit.
“L’Argenterie m’envoie courir le pays depuis le couronnement de Leur Majestés. La guerre a mis un désordre pas possible dans les archives et vous autres, nomades, vous nous facilitez pas la tâche. Premier époux, Azher Sahriki, mort. Qassan Sahriki, second époux, mort. Hossein Sahriki, troisième, mort aussi. Je…”
Le sang quitte le visage de Parwan. “Q… Qassan est mort ?” Le profil sévère de son second mari s’’imprime à nouveau dans son esprit.
“Quand est-ce que… Est-il… A-t’il eu des enfants ?”
“ Des enfants ?” s’exclame soudain le chamelier, les bras écartés. “Qu’est ce que j’en sais, moi ?! C’est écrit “Mort au combat”, voilà tout. Ouvre cette lettre, femme ! Je n’ai pas toute la journée !”
Submergée d’émotions contraires, Parwan peine à décacheter et dérouler le parchemin devant ses yeux. Qassan est mort. Il est mort. Lui, pourtant si brutal, si sévère, si peu aimant. Le voilà parti, son second mari. Et de la main d’un Ryssen, sans doute ! Lui et ses menaces terribles, si jamais il entendait à nouveau parler d’elle. C’en est fini…
Elle réprime ce sentiment de libération qu’elle estime indigne d’elle et lit :
“ Au nom de l’Argenterie Royale de Leur Majestés,
Et par l’autorité légitime qu’elle exerce sur ses loyaux sujets,
Nous convoquons Hossein Sahriki à propos du travail de sculpture, gravure et taille de pierre réalisé par lui, du commerce qu’il en a effectué ces vingt dernières années par le biais de son épouse, Parwan Sahriki, et des revenus générés par ledit commerce.
En lumière du récent couronnement, et de l’effort produit à restaurer l’ordre fiscal dans le royaume du Reike sous la supervision du Grand Argentier au service du Coeur, Sa Majesté la reine Ayshara, nous vous demandons de vous présenter au service de l’Argenterie Royale du Palais à Ikuza, et ce, dans les plus brefs délais.
Tout report excessif dans l'accès à cette demande sera considéré comme une refus de comparaître et de coopérer, entraînant des sanctions envers l’appelé et son entourage.
Écrit en ce jour du Vingt-cinq Septembre de l’An Zéro.
Service des Contrôleurs et Percepteurs de l’Argenterie Royale du Reike.”
Et par l’autorité légitime qu’elle exerce sur ses loyaux sujets,
Nous convoquons Hossein Sahriki à propos du travail de sculpture, gravure et taille de pierre réalisé par lui, du commerce qu’il en a effectué ces vingt dernières années par le biais de son épouse, Parwan Sahriki, et des revenus générés par ledit commerce.
En lumière du récent couronnement, et de l’effort produit à restaurer l’ordre fiscal dans le royaume du Reike sous la supervision du Grand Argentier au service du Coeur, Sa Majesté la reine Ayshara, nous vous demandons de vous présenter au service de l’Argenterie Royale du Palais à Ikuza, et ce, dans les plus brefs délais.
Tout report excessif dans l'accès à cette demande sera considéré comme une refus de comparaître et de coopérer, entraînant des sanctions envers l’appelé et son entourage.
Écrit en ce jour du Vingt-cinq Septembre de l’An Zéro.
Service des Contrôleurs et Percepteurs de l’Argenterie Royale du Reike.”
La grande solennité de la lettre, un ton d’usage pour tout édit ayant trait aux services royaux, a un impact considérable sur la nomade. Les sujets d’argent et les relations au royaume étant une affaire d’hommes dans sa tribu, Parwan se croit complètement dépassée. De préoccupation, elle porte sa main à la bouche et cherche un soutien dans les yeux du messager.
“Soleil tout puissant… Hossein est parti, ces punitions vont toucher sa famille !”
“Ah mais sotte, vas t’en toi même à la capitale, alors ! Et puisque tu étais sa femme, présente toi comme telle !”
“Mais je ne s…”
“Va ! Va, te dis-je ! Explique leur et ils comprendront.”
L’heure n’est pas aux atermoiements. Parwan saute sur ses pieds, ses genoux émettant un crac audible au messager, esclaves et poules alentours. En toute hâte, elle met à bas toutes ses marchandises des présentoirs pour en faire un rouleau de textile qu’elle charge sur son épaule. Elle fait volte-face au messager.
“Mille mercis, mon frère ! Que Shehk illumine tes pas ! Adieu !”
Le moustachu l’observe disparaître en courant dans la ruelle, sa cape et sa robe ballotés par ses zigzags entre les passants.
“Pfeh… Toujours à s’en faire des montagnes. ”
“Je suis sûr que ce n’est même pas si grave. Elle aurait pu partir le lendemain. Mais tout de même, la bénédiction d’une Sahriki… ” pense-t-il en se frisant le bout de la moustache, pas mécontent de lui. “J’irais peut-être au Temple, cette année finalement.”
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Parwan déboule dans les allées de Taisen, provoquant les cris des passants, surpris par la tempête flottante qui leur passe brusquement sous le nez. En haut d’une volée d’escaliers, elle aperçoit, par-dessus les dômes et les minarets, l’espace ouvert autour de la porte Ouest.
Un dernier effort et elle s’y trouve, sur cette langue de terre battue destinée au transit des marchandises et des bêtes entre les hangars et les écuries.
C’est là qu’elle l’aperçoit, perché sur son orniphant dans la file disparate de cavaliers qui disparaît à travers la porte vers le désert.
“Ryssen !” s’écrie t’elle à bout de souffle, alors qu’il parvient sous les mâchicoulis.
Le vieux barbare et tous les voyageurs dans la file se retournent sur leur selle. Ils l’interrogent du regard, alors qu’elle reprend son souffle, pliées sur ses genoux.
“Ca alors, cabocharde, qu’est ce que tu viens encore me pomper l’air ?”
Elle est toujours incapable d’articuler un mot.
“Eh bien !?”
La nomade se relève et se campe fièrement sur ses jambes, dans une posture identique au barbu pendant leurs négociations.
“Cinq d’or pile et un voyage pour Ikuza, Ryssen !”
Le barbare se retient d’éclater de rire.
“Quatre d’or, huit d’argent, Sahriki. En selle !”
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Bientôt, Taisen et ses remparts s’amenuisent derrière eux dans le lointain, îlot crépusculaire sur la mer de dunes. L'orniphant et son équipage suivent le train des lanternes venant de, et allant vers la capitale royale.
Parwan a refusé de chevaucher en selle avec le Ryssen. Par principe. Elle s’est plutôt instalée sur le train arrière de l’animal, assise sur ses étoffes. Ses jambes se soulèvent en rythme avec les cuisses volumineuses de la monture sur le sable, lui prêtant une gestuelle enfantine.
Quand les nuances du Soleil cessent finalement de peindre l’horizon et que la Lune siège en maîtresse des ténèbres étoilés, Parwan présente ses paumes au ciel et récite ses prières à Jalan, l’astre nocturne, la priant de veiller leur trajet de ses rayons.
Vient ensuite l’adresse aux ancêtres. Azher d’abord, Hossein ensuite puis c’est au tour de Qassan dont elle vient seulement d’apprendre la mort.
Elle s’excuse de n’avoir pu combler ses désirs d’héritiers et promet qu’elle faisait de son mieux. Avec le recul, elle pense que son souhait l’aveuglait et qu’ils auraient pu faire un couple digne, même sans enfants. Elle ne doute pas que nombreux sont ceux qui lui rendent hommage mais promet d’un jour apprendre où se trouve son étoile. Elle s’excuse aussi de monter en croupe avec quelqu’un qui aurait bien pu être responsable de sa mort.
Le vieux barbare, qui commence à se sentir en trop sur sa propre monture, se retourne pour lui intimer de la boucler. Mais Parwan s’est déjà endormie, emmitouflée sous sa cape en poil de chèvre, bercée par le balancier de l’orniphant.
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Au petit matin, les hauteurs de la capitale apparaissent dans l’aurore poudroyante. Parwan est réveillée par les bâillements de son conducteur. Les lèvres pâteuses, il lui concède que ses prières ont fonctionné et que la Lune leur a accordé un voyage sans incidents. Mais en lui tendant une galette de pain plat, il la surprend à lever les paumes au ciel pour rendre hommage au Soleil et jure de l’éjecter s’il entend une autre prière sur le dos de sa monture.
Parwan le traite de mécréant et boude en mastiquant son petit-déjeuner.
La porte Est d’Ikuza se dresse dans la majesté de ses étendards et les premiers rayons du Soleil, accueillant les visiteurs comme des fourmis à ses pieds.
“Longue vie au Reike.” laisse échapper la Sahriki, le nez en l’air, en passant sous les herses.
“Ouais…” réagit pensivement le Ryssen.
Il y a quelques mois de cela, ils combattaient corps et âme contre le royaume. Et désormais, ils étaient le royaume, ils s’installaient dans le confort de ses murs, leur chef de guerre siégeant désormais au plus somptueux des palais. Avec l’âge et la force de l’habitude, il faudrait au barbu le temps de se faire à l’idée.
Les deux partenaires se disent adieu à la sortie des écuries.
“Attends. Ton nom, cabocharde.”
“Parwan.”
“Thorin. Tu pues la sueur et la fiente de poule, Parwan.”
“Je sais. Pas pour longtemps.”
“Adieu, Parwan.”
“Adieu, Thorin.”
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Il fait bon ce matin, à Ikuza. Un parfum d’air frais flotte dans les rues de la cité royale. Une brise légère souffle dans les orangers et les hirondelles trissent en fusant sous les toitures. Parwan marche d’un pas vif dans les artères de la capitale qui s’éveille.
Les blanchisseurs s’en viennent de leur tâche chargés de linge blanc, les servantes descendent à la criée du port et les vieux discutent en fumant la pipe sur les marches des résidences.
Elle croise la relève de la garde sous les grilles du quartier populaire, et l’odeur du café tout juste avalé qui traîne dans son sillage.
La voilà au quartier des bains. Une fois délestée de quelques ronds de cuivre sur le comptoir du concierge, Parwan s’éclipse dans les vestiaires. Là, elle se libère de ses vêtements et trottine sur le sol humide jusqu’aux bassins. Prenant place parmi les joyeuses discussions des citadines les plus matinales, elle se laisse glisser dans l’eau chaude avec béatitude. Les courbatures d’une nuit de chevauchée, la fatigue d’un jour de bazaar s'efface dans ses membres comme des pièces de métal cabossées, refondues à neuf dans leur moule.
Savonnant soigneusement sa longue crinière ruisselante, Parwan pense à la lettre, au mots du messager. “Puisque tu étais sa femme, présente toi comme telle. Explique leur et ils comprendront.”
Le sourcil froncé, Parwan doit déployer des trésors d’imagination pour se voir frapper à une porte du Palais et déclarer être là pour représenter son homme. Les finances sont pourtant des affaires de patriarche ! Qu’est ce qu’une femme comme elle pourrait bien dire aux services royaux ? Dans son esprit, elle s’imagine pressée de questions dans une langue inconnue, balbutiant des réponses futiles et se couvrant de honte.
Au bout de la salle, une Ebed gobeline fait sonner sa clochette et retourne un grand sablier fixé au mur. Parwan, comme la plupart des femmes quittent le bain dans un concert d’éclaboussure et se dirigent vers la salle attenante en bavardant.
Le signal du séchoir, et la raison pour laquelle Parwan apprécie cet établissement:
Sous leurs abords populaires et sans prétention, ces bains emploient une Elementaire de vapeur.
Pendant que les clientes se baignent, on lave à grande eau les vêtements de celles qui ont versé un supplément, et c’est par magie que chacune ressort sèche jusqu’à la racine des cheveux.
L’élémentaire, une elfe au teint noir de café, ses cheveux broussaillant sur sa tête comme un nuage d’orage, invite chacune dans la pièce circulaire à tendre les bras et fermer les yeux. Elle soulève son pied droit et se lèche les lèvre avant de souffler dans le cercle serré formé par son pouce et son majeur. Un air brûlant jaillit de sa bouche et vient frapper les murs de la salle, formant bientôt un vortex autour des clientes immobiles.
En quelques instants, Parwan sent l’humidité s’évaporer de sa peau et de ses cheveux balayés aux quatres vents. Elle rouvre les yeux sur un petit groupe de tout âge, nues mais parfaitement sèches. Chacune remercie Tenvi l’Elementaire en rejoignant les vestiaires, celle-ci répondant par un sourire poli.
On rend à Parwan ses vêtements, aussi secs et propres qu’elle. La Sahriki prend bien le temps d’enfiler son pantalon, sa robe et ses tuniques, de coiffer sa tresse, nouer sa ceinture et d’ajuster sa coiffe. Dans le petit miroir en médaillon devant lequel chacune se presse, elle applique sur ses lèvres et ses cils une once de poudre végétale pour rafraîchir son maquillage.
Elle sort dans la rue, kerikh de marche en main. Si elle n’est pas prête à se rendre au Palais maintenant, jamais elle ne le sera. Alors elle se met en marche.
Sous ses semelles de cuir, les pavés plats l’appellent presque à courir. Mais Parwan est sérieuse et résolue. Elle représentera Hossein à l’Argenterie, car nul autre ne peut le faire à présent. Et qu’importe si elle se couvre de ridicule.
La lettre décachetée en main, elle se retrouve au pied des murailles du palais royal.
Peu familière des lieux, elle peine longuement à trouver une entrée avant d’atteindre une barbacane aux herses levées, tenue par une huitaine de gardes. Un drakyn patibulaire et scrutateur alterne entre le contenu de la lettre et la mine déterminée de la Sahriki. D’abord réticent à laisser entrer quelqu’un que la lettre ne convoque pas expressément, on lui confisque broderies, bâton et affaires de voyage, puis on l’escorte à l’intérieur.
Parwan est impressionnée par le jardin poussant sous les murs du Palais. Elle voudrait s’arrêter pour observer toutes ces fleurs et ces arbres qu’elle voit pour la première fois, mais son escorte lui fait hâter le pas.
Elle et sa guide finissent par pénétrer dans une aile du palais aux couloirs solennels. Elles croisent plusieurs dignitaires et troupes de garde, traversent une cour intérieure, grimpent une volée d’escaliers plus large que la nomade n’en a jamais vu et débouchent sur un long couloir, généreusement éclairé de grandes lampes à huile. La garde fait asseoir Parwan sur un banc et disparaît prévenir quelqu’un en lui donnant l’ordre de ne pas bouger.
Parwan s'exécute.
Son coeur s'accélère, assise seule sur son banc. Shekh tout puissant ne peut rien pour elle en ces murs. Ses rayons ne l’atteindront pas, claquemurée comme elle est dans ce vaste et mystérieux édifice. Leur trajet pour parvenir ici se trouble dans sa mémoire perturbée.
“Pas d'inquiétude.” se répète-t-elle intérieurement. “Pas d'inquiétude...”
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